Derrière sa frange et un nom qui se joue de la marchandisation des corps, Marine Pellegrini compte plus de neufs albums à son actif avec N’Relax et Polymorphie, ses formations passées. Musicalité, rythme et mélodies lui sont si instinctifs qu’on la croirait sortie d’une précieuse boîte à musique. Érudite en tous genres, et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de jazz, de trip-hop ou de musique électronique, l’artiste à la voix soul héritée du siècle dernier semble construire son univers dans un endroit secret, à l’abri des regards de l’industrie, sorte de cabane mystérieuse au fond du jardin — un monde où Lana Del Rey, Lianne La Havas et Julia Stone auraient fusionné.
Marine Pellegrini, dite Erotic Market, est de ces artistes qui se sont livré·e·s à leur public au nom d’un combat intérieur : celle qui monte sur scène, c’est avant tout la jeune fille pudique qui commence le solfège impulsivement après ses études de philosophie, c’est le tomboy adolescent timide obsédé par Erykah Badu et les Fugees, c’est l’artiste enchanteresse aux mots qui comptent et aux élans punk qui n’a plus besoin de hausser le ton pour faire passer ses messages. Avec le temps, sa candeur devient un outil musical imparable : la voix posée, les mots ajustés, Erotic Market conserve ce qu’elle a de plus sauvage dans son utilisation des percussions, son grain érodé et ses métaphores qui ont tout l’air de s’être échappées de carnets de poésie.
Depuis l’éponyme Erotic Market, Blahblahrians, Queendoms, Boredoms, Boredoms & Heartstrings — l’album de reprises de Boredoms avec un quatuor à cordes —, ses précédents opus, jusqu’à Marla Pillow, son nouvel album, elle transfigure ses révoltes intimes et défie avec chaleur une ère contemporaine froide et mécanique, nos manières d’être au monde, en amour comme en société… Mais c’est son affirmation d’une féminité fièrement ordinaire, rassurante, mais pas moins royale, qui l’a menée à Marla Pillow, son nouveau double, son doppelgänger. Celui-là même qui lui permet aujourd’hui de raconter d’un seul geste la maternité et le deuil de la mère, la transformation de la boue en or, l’acceptation et la résilience que l’on ressent au réveil d’une nuit de rêves entremêlés.
Toujours en mouvement, celle qui écoute aujourd’hui Frank Ocean, SZA, Luidji et Disiz, monte désormais sur les scènes de théâtre et a passé deux mois au studio de La Ciergerie avec son co-compositeur Romain Montiel, multi-instrumentiste formé au CNSMD de Lyon et le réalisateur Julien Jussey, pianiste de formation et collaborateur de longue date, pour trouver la formule féérique de Marla Pillow. Avec cet album organique qui promet de douces fêtes païennes, Erotic market signe un retour abondant de lumière.
Lola Levent